Troubles de voisinage et recours collectifs : la Cour d’appel du Québec rend sa première décision depuis l’arrêt Ciment du Saint-Laurent Inc. | |
Claude
Marseille et Katia Opalka
Le 9 février 2009, la Cour d'appel du Québec a
rendu sa première décision en matière de troubles de voisinage depuis l'arrêt Ciment
du Saint-Laurent Inc. de la
Cour suprême du Canada.
LA TOILE DE FOND : L'ARRET CIMENT DU SAINT-LAURENT
On se souviendra que, le 20 novembre 2008, la Cour suprême du Canada avait
rendu une décision très attendue dans le cadre d'un recours collectif intenté
par les voisins de la cimenterie exploitée par Ciment du Saint-Laurent Inc.,
dans la Ville
de Beauport (voir le Bulletin Blakes – Environnement de novembre 2008).
Les voisins de l'usine se plaignaient des nuisances causées par la poussière,
les odeurs et le bruit provenant de celle-ci. Cet arrêt a causé un certain émoi
car, sur la foi de l'article 976 du Code civil du Québec (le « C.c.Q.
»), la Cour
suprême a reconnu que l'exploitant d'une usine peut être trouvé responsable en
dommages pour les troubles de voisinage causés à ses voisins même s'il n'a
commis aucune faute et même s'il a respecté à la lettre la réglementation qui
lui est applicable. Il suffit, pour que sa responsabilité soit engagée, qu'il
cause à ses voisins des inconvénients « excessifs » au sens de l'article 976 C.c.Q., qui se lit comme
suit :
976. Les voisins doivent
accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites
de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs
fonds, ou suivant les usages locaux.
Cette décision a fait
craindre une prolifération de recours pour troubles de voisinage et a été
source d'incertitudes quant aux moyens de défense disponibles aux commerces et
aux industries poursuivis sur cette base.
La récente décision de la Cour d'appel du Québec dans
l'affaire Les entreprises Auberge du parc limitée c. Le site historique du
Banc-de-pêche de Paspébiac, 2009 QCCA 257 (CanLII), vient apporter
plusieurs éléments de réponse à ces questions.
L'ARRET AUBERGE DU PARC
Dans cette affaire, la demanderesse, qui exploite un centre de santé
haut de gamme en thalassothérapie (« Auberge du parc »), demande une injonction
contre son voisin, un organisme à but non lucratif qui exploite un site
historique. Elle veut faire cesser le bruit généré par les spectacles musicaux
qu'il organise parfois en été les dimanches après-midi.
Voici donc une
entreprise qui vend le silence et qui, pour le préserver, cherche à obliger ses
voisins à le respecter.
Dans un premier temps, la Cour d'appel rappelle les
enseignements de la Cour
suprême dans Ciment du Saint-Laurent; elle écrit :
La Cour suprême a rappelé
récemment, dans Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, que le régime de
responsabilité civile auquel se réfère cette disposition est fondé sur le
caractère excessif des inconvénients subis par la victime et non sur le
comportement de leur auteur présumé qui ne constitue pas le critère
déterminant. Elle reconnaît une responsabilité civile fondée sur l'existence de
troubles de voisinage, malgré l'absence de faute prouvée ou présumée. Cette
responsabilité pourra être engagée même si les normes en vigueur sont
respectées.
Ceci dit, la Cour d'appel confirme la
décision du juge de première instance et rejette l'action d'Auberge du parc.
Comme le premier juge, elle conclut que les inconvénients subis par la demanderesse
ne sont pas anormaux, déraisonnables ou excessifs dans les circonstances. Elle
confirme à cet égard qu'il faut procéder à un examen « contextuel » de
l'affaire et que les critères à prendre en considération comprennent les
suivants :
- l'antériorité des
activités d'une partie ou de l'autre, - la légalité des
activités de la partie défenderesse, - les améliorations
effectuées par la défenderesse afin d'atténuer les inconvénients causés
par les concerts, - le zonage
commercial du site, - l'absence de
plaintes provenant des résidences voisines, - l'absence
de pertes de revenus pour la demanderesse.
UN TEST OBJECTIF
Par ailleurs, la Cour
confirme que l'analyse du seuil de tolérance acceptable doit reposer sur une
base objective et non pas sur les attentes subjectives de la demanderesse ou de
ses clients.
Ici, Auberge du parc
plaidait que le premier juge aurait dû évaluer le caractère raisonnable des
inconvénients « en fonction des attentes des curistes ». La Cour d'appel rejette cet
argument : le caractère excessif ou intolérable de l'inconvénient se mesure en
fonction de la personne raisonnable, et non selon les caractéristiques
personnelles de la partie demanderesse. La Cour d'appel adopte sur ce point les propos de la Cour supérieure dans une
autre affaire :
Le même bruit peut être
incommodant pour les uns sans l'être pour les autres. C'est une question de
seuil de tolérance à ne pas dépasser. Et c'est souvent une question de
circonstances les unes plus subjectives que d'autres. Le dépassement du seuil
de tolérance donne ouverture au remède de l'injonction. Ce seuil de tolérance
doit être apprécié en fonction de celui d'autres voisins placés dans les mêmes
circonstances : celui de l'être raisonnable.
La Cour d'appel ajoute que les
circonstances doivent faire voir une certaine gravité, pas seulement la
privation d'un avantage. Ainsi, le fait d'être privé du silence absolu, s'il
constitue la privation d'un avantage, ne s'élève pas au rang d'inconvénient
excessif donnant droit à un recours en injonction.
LA QUESTION DE L'ANTERIORITE D'ETABLISSEMENT
L'affaire est aussi intéressante pour son analyse de la notion d' «
antériorité d'établissement », qui revient constamment en matière de troubles
de voisinage.
En l'espèce, Auberge du
parc plaidait que l'antériorité de l'établissement du centre qu'elle exploite,
par rapport à celui du site de la défenderesse, exigeait qu'on évalue le
caractère raisonnable des inconvénients en fonction des attentes des curistes,
venus de loin pour se reposer quelques semaines dans un endroit calme et
reposant. Or, selon la Cour
d'appel :
Le fonds de l'appelante
ne bénéficie pas d'un droit acquis à ce que la situation du voisinage demeure
inchangée. […]
L'article 976 C.c.Q. oblige les voisins
à accepter les inconvénients normaux du voisinage, que ces inconvénients soient
occasionnés par des voisins nouveaux ou anciens ou qu'ils découlent d'un usage
récent ou ancien. Ainsi, le voisinage peut occasionner de nouveaux
inconvénients avec lesquels il faudra composer lorsque ces inconvénients
peuvent être qualifiés de normaux pour le voisinage.
Cet extrait est
intéressant en ce qu'il nous rappelle que l'article 976 C.c.Q. a notamment pour
effet d'obliger les voisins à supporter les inconvénients normaux du
voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent. La
vie en société est source d'inconvénients, ceux-ci peuvent évoluer avec le
temps et ils ne seront pas sources de dommages, dans les limites du tolérable
évidemment.
CONCLUSION
Cette décision du plus haut tribunal du Québec apportera une bonne dose
de réconfort aux commerces et industries dont les activités sont susceptibles
de causer des inconvénients à leurs voisins. S'il est exact de dire que la
responsabilité en matière de troubles de voisinage ne repose pas nécessairement
sur la commission d'une faute civile, il reste que le demandeur porte toujours
le fardeau de démontrer qu'il a subi des inconvénients « anormaux » ou «
excessifs » dus aux activités du défendeur. La décision devra reposer sur des
facteurs objectifs et une analyse contextuelle, dans le cadre de laquelle les
activités du défendeur et les efforts qu'il aura consentis pour réduire les
inconvénients seront pris en considération.
Pour en savoir davantage
sur le sujet, communiquez avec :
Claude Marseille | 514-982-5089 |
Katia Opalka | 514-982-5047 |
ou l'un ou l'autre des
membres de notre groupe des recours collectifs ou de
notre groupe du droit de l'environnement.
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