LA RESPONSABILITE CIVILE AU SECOURS DE L'ENVIRONNEMENT
-
Pour en savoir
plus : la responsabilité civile comme base institutionnelle d'une
protection spontanée de l'environnement.
L’essentiel dans la Revue des Etudes Humaines
n°6&7, Septembre/Décembre 1991.
L' idée d'un
nécessaire "droit de l'environnement", si possible au niveau européen
voire mondial, est bien ancrée dans les esprits. La protection contre les
"risques majeurs", la gestion des ressources naturelles, la lutte contre
la pollution : voilà qui intéresse tout le monde, au point que les pouvoirs
publics ne sauraient demeurer inactifs. L'environnement est un bien
collectif, devant être géré par des institutions qui représentent la
collectivité.
A cette mentalité
dominante, Baudouin Bouckaert oppose un plaidoyer pour le retour à la
responsabilité civile. Cette arme juridique, partie intégrante du droit commun,
a été oubliée et déformée. Pourtant elle éviterait les erreurs dramatiques
auxquelles conduit le droit de l'environnement et elle assurerait une
protection de l'environnement efficace, tout en préservant aussi les libertés
individuelles.
Après nous le déluge
Si la pétition du
Commandant Cousteau a tellement de succès aujourd'hui, c'est parce qu'il
dénonce les comportements suicidaires de certains : si tous les citoyens
d'une société cultivent une mentalité radicale du type "après nous le
déluge", les résultats concernant l'environnement seront catastrophiques
sous n'importe quel arrangement institutionnel"
Les juristes
s'interrogent en effet sur les mesures qui seraient de nature à changer les
comportements individuels. Ce que l'on appelle "l'analyse économique du droit"
s'efforce de mesurer l'impact des institutions (et notamment des règles de
droit) sur les décisions individuelles. Sans doute les institutions ne sont
-elles pas suffisantes pour supprimer totalement les comportements suicidaires.
Mais elles contribuent plus ou moins à mettre les hommes en face de leurs
responsabilités.
En matière
d'environnement, les choses ne sont pas simples, et la mise en responsabilité
n'est pas si facile, parce que les actes des différents individus n'ont qu'une
influence très indirecte sur l'environnement.
On voit se multiplier
les "externalités", conséquences non désirées et non mesurables des
décisions prises par certains. Si l'on voulait imputer aux décideurs tous les
dommages qu'ils créent, cela supposerait d'engager des "coûts de
transaction" très élevés. Le concept de "coûts de transaction" a
été inventé par Ronald Coase, ce qui lui a valu le prix Nobel d'économie. Il
indique bien que dans certaines situations il serait trop onéreux de vouloir
établir une estimation des droits et créances, de vouloir passer un marché, de
signer un contrat. La conclusion qu'on en tire assez souvent est simple : dans
ces conditions l'environnement ne peut être géré par des procédures de marché,
et il faut recourir à des procédures réglementaires.
Cette conclusion est
réellement trop simple. Elle laisse penser que l'on ne saurait apporter des
arrangements institutionnels de nature à abaisser les coûts de transaction, et
à utiliser des procédures marchandes en matières d'environnement. Or, une telle
possibilité existe. Les institutions peuvent toujours changer dans le sens
d'une réduction des externalités. Par exemple, l'Europe du Haut Moyen Age est
déjà plus performante que l'ère antérieure, et le monde contemporain, à son
tour, a des institutions mieux assurées que celles du Moyen Age.
Ainsi, au lieu de
condamner définitivement le marché et d'applaudir sans réserve à la
réglementation, on doit se demander si ce ne sont pas les institutions
présentes qui sont en cause ; à ce moment des arrangements institutionnels
peuvent permettre de confier l'environnement à la procédure de marché. On
soutiendra ici ce point de vue : Il s'agit plutôt d'une défaillance
institutionnelle que d'une défaillance du marché proprement dit.
Res ullius, res nullius
"Ce qui est à
tout le monde n'est à personne" : l'adage est sage. Il illustre la
défaillance institutionnelle majeure qui domine les choses de l'environnement :
la plupart des biens environnementaux ne font pas l'objet d'un régime précis
de propriété privée.
Si l'accès et l'usage
d'une ressource sont libres pour chacun, les usagers ne sont point soumis à
quelque incitation pour gérer cette ressource d'une façon responsable. Ce
manque de discipline spontanée provoque une tendance vers un épuisement graduel
de la ressource commune.
Cette analyse s'applique
bien à la plupart des biens environnementaux : les mers et les océans,
l'atmosphère, les fleuves, les rivières, mais aussi la voirie, les réserves ...
On le voit : les dangers les plus graves se situent dans les ressources qui
ont fait l'objet d'un régime juridique plus ou moins commun.
Remarquons qu'il revient
au même de laisser ces biens à l'état naturel de biens « communs »,
ou de les soumettre à la propriété "publique". Car, dans ce dernier
cas, aucun progrès n'est réalisé du seul fait que l'on aura transféré ces biens
à l'Etat, ou aux collectivités locales, ou à quelque autre instance publique.
Ces instances ne sont
que des personnes morales, dès lors fictives, peuplées et gérées par des gens
qui ne sont pas non plus soumis à la discipline spontanée des propriétaires
privés.
La conclusion s'impose :
il faut repenser de façon radicale tous ces régimes de statut commun ou
public.
Les écologistes se
trompent en exigeant de nouvelles méthodes techniques pour protéger
l'environnement, alors qu'il faut changer le régime institutionnel de façon à
faire jouer la responsabilité individuelle.
Les écologistes se trompent
Les
écologistes repoussent la solution de la responsabilité pour lui préférer celle de la directivité.
La première solution
nous vient du droit classique et repose sur trois principes : la responsabilité
civile (les victimes sont dédommagées), la propriété privée (la gestion
irresponsable est pénalisée), la liberté contractuelle (propriété et
responsabilité donnent lieu à des accords entre particuliers, comme par exemple
la création de servitudes).
Ces instruments
juridiques sont le résultat d'une tradition juridique ancienne. Alors,
pourquoi aller chercher une autre solution ?
Les adversaires de la
responsabilité civile font ressortir qu'elle est souvent défaillante : la
charge de la preuve d'un dommage est coûteuse, les auteurs du dommage peuvent
être insolvables, l'évaluation du dommage est arbitraire.
Ces défaillances ne sont
pas négligeables ; mais elles n'ont peut -être pas la gravité qu'on dit, et
elles peuvent certainement être gérées, comme on le verra plus loin.
Par contraste, les
écologistes font une confiance aveugle à la solution des réglementations, des
permis, des subventions, exemptions, etc ...
Or les défaillances ici
sont encore plus évidentes, même si on les évoque moins souvent:
-défaillance
d'information : qui connaît exactement les risques et leurs coûts ?
-défaillance d'exécution
: ceux qui sont chargés du contrôle et de la police font -ils correctement leur
travail?
-défaillance par
démotivation : la réglementation induit une fausse sécurité, et rend les
individus moins vigilants, moins responsables aussi ;
-défaillance politique :
la réglementation et son application mettent en jeu des intérêts personnels qui
peuvent très bien aller contre l'environnement.
Dans ces conditions, on
pourrait en conclure que chacune des solutions ayant ses défaillances, le choix
entre
les deux est question de
pure opportunité.
Mais qui trancherait ?
Dans l'état actuel de nos démocraties, l'issue ne fait pas de doute : c'est le
"droit de l'environnement" qui l'emporterait, parce que le marché
politique est ainsi fait que les hommes de l'Etat ont avantage à multiplier
leurs interventions, dans tous les domaines. On pourrait déjà faire un progrès
si on introduisait dans nos démocraties les doses suffisantes de
décentralisation, permettant aux défenseurs de l'environnement de traiter le
problème au niveau local, en l'absence de toute procédure de décision "macro
-démocratique". Il est nécessaire de développer des modèles de "microdémocratie"
dans lesquels la procédure de décision politique approche autant que possible
le caractère d'un vrai contrat social. Il y aurait alors négociation
directe, localement, entre ceux qui créent le risque et ceux qui le subissent. Ce
sont surtout les instances locales qui peuvent servir de forum public pour
organiser de tels contrats collectifs. Rien n'empêche d'ailleurs que ces
accords locaux se prolongent par des accords nationaux et internationaux, par
négociations entre instances concernées : on aboutirait ainsi à une sorte de
fédéralisme juridique en matière d'environnement. Mais une telle possibilité
est absente dans le cadre de nos institutions actuelles.
Faut -il être en faute pour être responsable ?
Quelles
que soient les améliorations que l'on peut imaginer dans la solution
réglementaire - et qui pour l'instant relèvent du vœu pieux - il faut explorer
l'autre solution, et s'interroger sur la responsabilité civile. Ici, un grand
débat s'instaure entre responsabilité objective et responsabilité subjective.
Dans le premier cas, on est toujours responsable du dommage que l'on a causé,
même si l'on n'a commis aucune faute. Dans le deuxième cas, la cause ne suffit
pas : il faut relever une faute contre l'auteur du dommage (les anglo -saxons
parlent dans un cas de "negligence liability" et dans l'autre de
"strict liability").
La législation moderne
tend vers plus de responsabilité objective, ce qui est tout à fait regrettable.
En effet, la
responsabilité objective est assez illogique. Tout fait antérieur a des liens
de causalité avec un fait postérieur.
Quand un dommage est
commis, on peut remonter au déluge. Si un accident arrive avec un feu
d'artifice, pourquoi alors ne pas condamner le Chinois qui l'a inventé il y a
plus d'un millier d'années ?
La référence à la faute,
au contraire, permet de s'arrêter à un maillon de la chaîne historique de
causalité. Si on ne retient pas la faute, un certain nombre de conséquences
s'en suivent :
- tout le monde pourra
être tenu pour responsable,
- le coupable ne sera
pas plus responsable que les autres.
Donc "une
responsabilité civile dénuée de tout élément moral s'enfonce dans des problèmes
insolubles". Comme, en fin de compte, il faudra bien trancher, on
recourra à nouveau à une solution par décret. On est ramené à une
distribution étatique et arbitraire des risques.
Il faut donc moraliser
la responsabilité pour être responsable, il faut avoir commis une faute.
Faute et propriété
Si on
veut maintenant faire le lien entre faute et propriété, on se demandera si on
peut imaginer une faute sans violation de la propriété, et si la violation de
la propriété, à l'inverse, constitue une faute en soi. Dans le domaine de
l'environnement, la première question est importante. Beaucoup de gens veulent
être indemnisés alors même qu'ils ne sont pas propriétaires ; seuls leurs
"intérêts" ont été atteints, mais du moment qu'il y a eu faute ils
revendiquent. En réalité des "intérêts" dont on n'est pas
propriétaire peuvent être étendus à l'infini, et le fautif ne saurait être tenu
pour responsable à l'égard de n'importe qui.
Cela montre que c'est
l'atteinte à la propriété qui constitue, en soi, la faute. Beaucoup de
dommages environnementaux peuvent être qualifiés d'atteinte unilatérales aux
droits de propriété d'autrui.
C'est la solution du
droit romain : « l’immissio », violation de la propriété
(pénétration sur la propriété d'autrui) est en soi une faute Le seul fait
qu'il y ait eu atteinte à la propriété d'autrui constituait déjà une faute
et entraînait la responsabilité de l'auteur. Cette solution générale
s'accompagne, durant l'Ancien Régime, de nombreuses coutumes concernant les
questions de voisinage, de servitudes, et des solutions concrètes sont données
aux problèmes d'environnement. Une réglementation a fait également son
apparition et s'est développée à la veille de la Révolution. De la
sorte, le Code Civil, à travers l'article 1382, consacre par priorité le
principe de l'immissio et du même coup rend caduques les autres coutumes et
réglementations. Pothier, l'un des pères du Code, écrivait "le droit de
propriété, considéré par rapport à ses effets, doit se définir comme le droit
de disposer à son gré d'une chose, sans néanmoins donner atteinte au droit
d'autrui, ni aux lois". Cela impliquait que la coexistence seule des
différents droits de propriété limitait déjà la liberté du propriétaire, et
qu'il n'était point besoin de lois spéciales pour circonscrire la liberté
d'action du propriétaire. La logique du système de propriété impliquait déjà
ces limites.
L'environnement contre le progrès
A
cette époque, le sentiment d'un certain nombre d'industriels est que la règle
de la responsabilité civile est trop lourde. Si les propriétaires se mettent à
vouloir se protéger contre la dégradation de l'environnement, les industriels
passeront leur temps à les indemniser. Il faut choisir entre environnement et
progrès. Les pouvoirs publics sont vite persuadés qu'ils doivent trancher en
faveur du progrès. Ils admettent donc que les industriels sont déliés de toute
responsabilité lorsqu'ils sont autorisés par le pouvoir à mener une activité
d'un certain type, même quand cette activité est polluante et préjudiciable aux
autres. L'octroi du permis a remplacé la mise en jeu de la responsabilité...
Les économistes libéraux de l'époque ne s'y sont point trompés, qui ont attaqué
le décret de 1810 : "Rien de plus arbitraire et au fond, rien de plus
inutile que la législation sur les établissements incommodes et insalubres...
Elle ne protège ni les voisins contre les inconvénients de la fabrique, ni la
fabrique contre les réclamations judiciaires des voisins". La doctrine
s'enflamme et prend de plus en plus fait et cause pour la "fabrique"
contre le "voisin". "Le temps du travail, de l'industrie,
commence, l'idée et le respect de la propriété foncière doivent faire place à
l'idée et au respect de la production" écrit un philosophe du droit de
cette époque.
Alors la réglementation
va jouer contre la propriété, et contre l'environnement
Celui qui cause la
pollution a le droit de le faire pourvu que cela ne soit pas interdit par une
loi ou une réglementation spéciale.
La faute est désormais
autre chose que l'atteinte à la propriété : elle est simplement une infraction
à un règlement. Ce dernier pas impliquait alors que l'Etat pouvait contrôler la
responsabilité civile concernant les troubles de voisinage au moyen de sa
politique de permis.
Ainsi, on a paralysé la
responsabilité civile comme instrument efficace de protection de
l'environnement. Cette paralysie du droit a créé une lacune dans la protection
des droits de propriété contre les diverses formes de pollution qui se sont
multipliées avec les années. L'opinion publique voyait dans une
réglementation toujours croissante et des systèmes de permis toujours plus
compliqués les seuls remèdes pour contrôler le phénomène de la pollution. Une
fois que le mal est fait, il est difficile de rétablir dans l'opinion publique
la confiance dans les procédures de droit privé.
Alors que la
responsabilité civile était une arme suffisante pour régler les problèmes de
l'environnement, on l'a neutralisée par la réglementation, et pourtant la
plupart des gens, guidés par les juristes et les historiens, sont persuadés que
le droit de propriété donnait carte blanche aux pollueurs et qu'il convenait
d'en réglementer l'usage. Ce qui s'est passé, c'est exactement le contraire.
Dès lors, on peut soutenir que la vraie solution
aux problèmes de l'environnement consiste à revenir à la responsabilité civile.
Mettons un espoir dans l'Europe : peut être l'intégration européenne nous
offrent -elle une bonne chance d'un retour vers les instruments classiques du
droit privé, appliqués alors en toute conséquence.
Les passages en italique
sont repris du texte de l'article paru dans le Journal.
On l'a vu en France à
propos d'une affaire récente : si un ministre se dit "responsable mais pas
coupable", cela signifie qu'on reconnaît le lien de causalité mais pas la
faute ; dans ce cas est tenu de réparer celui que l'arbitraire politique veut
bien désigner : après tout pourquoi pas le contribuable électeur qui a eu la
stupidité de porter au pouvoir des dirigeants négligents ?
-
Pour en savoir
plus : la responsabilité civile comme base institutionnelle d'une
protection spontanée de l'environnement.
L’essentiel dans la Revue des Etudes Humaines
n°6&7, Septembre/Décembre 1991.
L' idée d'un
nécessaire "droit de l'environnement", si possible au niveau européen
voire mondial, est bien ancrée dans les esprits. La protection contre les
"risques majeurs", la gestion des ressources naturelles, la lutte contre
la pollution : voilà qui intéresse tout le monde, au point que les pouvoirs
publics ne sauraient demeurer inactifs. L'environnement est un bien
collectif, devant être géré par des institutions qui représentent la
collectivité.
A cette mentalité
dominante, Baudouin Bouckaert oppose un plaidoyer pour le retour à la
responsabilité civile. Cette arme juridique, partie intégrante du droit commun,
a été oubliée et déformée. Pourtant elle éviterait les erreurs dramatiques
auxquelles conduit le droit de l'environnement et elle assurerait une
protection de l'environnement efficace, tout en préservant aussi les libertés
individuelles.
Après nous le déluge
Si la pétition du
Commandant Cousteau a tellement de succès aujourd'hui, c'est parce qu'il
dénonce les comportements suicidaires de certains : si tous les citoyens
d'une société cultivent une mentalité radicale du type "après nous le
déluge", les résultats concernant l'environnement seront catastrophiques
sous n'importe quel arrangement institutionnel"
Les juristes
s'interrogent en effet sur les mesures qui seraient de nature à changer les
comportements individuels. Ce que l'on appelle "l'analyse économique du droit"
s'efforce de mesurer l'impact des institutions (et notamment des règles de
droit) sur les décisions individuelles. Sans doute les institutions ne sont
-elles pas suffisantes pour supprimer totalement les comportements suicidaires.
Mais elles contribuent plus ou moins à mettre les hommes en face de leurs
responsabilités.
En matière
d'environnement, les choses ne sont pas simples, et la mise en responsabilité
n'est pas si facile, parce que les actes des différents individus n'ont qu'une
influence très indirecte sur l'environnement.
On voit se multiplier
les "externalités", conséquences non désirées et non mesurables des
décisions prises par certains. Si l'on voulait imputer aux décideurs tous les
dommages qu'ils créent, cela supposerait d'engager des "coûts de
transaction" très élevés. Le concept de "coûts de transaction" a
été inventé par Ronald Coase, ce qui lui a valu le prix Nobel d'économie. Il
indique bien que dans certaines situations il serait trop onéreux de vouloir
établir une estimation des droits et créances, de vouloir passer un marché, de
signer un contrat. La conclusion qu'on en tire assez souvent est simple : dans
ces conditions l'environnement ne peut être géré par des procédures de marché,
et il faut recourir à des procédures réglementaires.
Cette conclusion est
réellement trop simple. Elle laisse penser que l'on ne saurait apporter des
arrangements institutionnels de nature à abaisser les coûts de transaction, et
à utiliser des procédures marchandes en matières d'environnement. Or, une telle
possibilité existe. Les institutions peuvent toujours changer dans le sens
d'une réduction des externalités. Par exemple, l'Europe du Haut Moyen Age est
déjà plus performante que l'ère antérieure, et le monde contemporain, à son
tour, a des institutions mieux assurées que celles du Moyen Age.
Ainsi, au lieu de
condamner définitivement le marché et d'applaudir sans réserve à la
réglementation, on doit se demander si ce ne sont pas les institutions
présentes qui sont en cause ; à ce moment des arrangements institutionnels
peuvent permettre de confier l'environnement à la procédure de marché. On
soutiendra ici ce point de vue : Il s'agit plutôt d'une défaillance
institutionnelle que d'une défaillance du marché proprement dit.
Res ullius, res nullius
"Ce qui est à
tout le monde n'est à personne" : l'adage est sage. Il illustre la
défaillance institutionnelle majeure qui domine les choses de l'environnement :
la plupart des biens environnementaux ne font pas l'objet d'un régime précis
de propriété privée.
Si l'accès et l'usage
d'une ressource sont libres pour chacun, les usagers ne sont point soumis à
quelque incitation pour gérer cette ressource d'une façon responsable. Ce
manque de discipline spontanée provoque une tendance vers un épuisement graduel
de la ressource commune.
Cette analyse s'applique
bien à la plupart des biens environnementaux : les mers et les océans,
l'atmosphère, les fleuves, les rivières, mais aussi la voirie, les réserves ...
On le voit : les dangers les plus graves se situent dans les ressources qui
ont fait l'objet d'un régime juridique plus ou moins commun.
Remarquons qu'il revient
au même de laisser ces biens à l'état naturel de biens « communs »,
ou de les soumettre à la propriété "publique". Car, dans ce dernier
cas, aucun progrès n'est réalisé du seul fait que l'on aura transféré ces biens
à l'Etat, ou aux collectivités locales, ou à quelque autre instance publique.
Ces instances ne sont
que des personnes morales, dès lors fictives, peuplées et gérées par des gens
qui ne sont pas non plus soumis à la discipline spontanée des propriétaires
privés.
La conclusion s'impose :
il faut repenser de façon radicale tous ces régimes de statut commun ou
public.
Les écologistes se
trompent en exigeant de nouvelles méthodes techniques pour protéger
l'environnement, alors qu'il faut changer le régime institutionnel de façon à
faire jouer la responsabilité individuelle.
Les écologistes se trompent
Les
écologistes repoussent la solution de la responsabilité pour lui préférer celle de la directivité.
La première solution
nous vient du droit classique et repose sur trois principes : la responsabilité
civile (les victimes sont dédommagées), la propriété privée (la gestion
irresponsable est pénalisée), la liberté contractuelle (propriété et
responsabilité donnent lieu à des accords entre particuliers, comme par exemple
la création de servitudes).
Ces instruments
juridiques sont le résultat d'une tradition juridique ancienne. Alors,
pourquoi aller chercher une autre solution ?
Les adversaires de la
responsabilité civile font ressortir qu'elle est souvent défaillante : la
charge de la preuve d'un dommage est coûteuse, les auteurs du dommage peuvent
être insolvables, l'évaluation du dommage est arbitraire.
Ces défaillances ne sont
pas négligeables ; mais elles n'ont peut -être pas la gravité qu'on dit, et
elles peuvent certainement être gérées, comme on le verra plus loin.
Par contraste, les
écologistes font une confiance aveugle à la solution des réglementations, des
permis, des subventions, exemptions, etc ...
Or les défaillances ici
sont encore plus évidentes, même si on les évoque moins souvent:
-défaillance
d'information : qui connaît exactement les risques et leurs coûts ?
-défaillance d'exécution
: ceux qui sont chargés du contrôle et de la police font -ils correctement leur
travail?
-défaillance par
démotivation : la réglementation induit une fausse sécurité, et rend les
individus moins vigilants, moins responsables aussi ;
-défaillance politique :
la réglementation et son application mettent en jeu des intérêts personnels qui
peuvent très bien aller contre l'environnement.
Dans ces conditions, on
pourrait en conclure que chacune des solutions ayant ses défaillances, le choix
entre
les deux est question de
pure opportunité.
Mais qui trancherait ?
Dans l'état actuel de nos démocraties, l'issue ne fait pas de doute : c'est le
"droit de l'environnement" qui l'emporterait, parce que le marché
politique est ainsi fait que les hommes de l'Etat ont avantage à multiplier
leurs interventions, dans tous les domaines. On pourrait déjà faire un progrès
si on introduisait dans nos démocraties les doses suffisantes de
décentralisation, permettant aux défenseurs de l'environnement de traiter le
problème au niveau local, en l'absence de toute procédure de décision "macro
-démocratique". Il est nécessaire de développer des modèles de "microdémocratie"
dans lesquels la procédure de décision politique approche autant que possible
le caractère d'un vrai contrat social. Il y aurait alors négociation
directe, localement, entre ceux qui créent le risque et ceux qui le subissent. Ce
sont surtout les instances locales qui peuvent servir de forum public pour
organiser de tels contrats collectifs. Rien n'empêche d'ailleurs que ces
accords locaux se prolongent par des accords nationaux et internationaux, par
négociations entre instances concernées : on aboutirait ainsi à une sorte de
fédéralisme juridique en matière d'environnement. Mais une telle possibilité
est absente dans le cadre de nos institutions actuelles.
Faut -il être en faute pour être responsable ?
Quelles
que soient les améliorations que l'on peut imaginer dans la solution
réglementaire - et qui pour l'instant relèvent du vœu pieux - il faut explorer
l'autre solution, et s'interroger sur la responsabilité civile. Ici, un grand
débat s'instaure entre responsabilité objective et responsabilité subjective.
Dans le premier cas, on est toujours responsable du dommage que l'on a causé,
même si l'on n'a commis aucune faute. Dans le deuxième cas, la cause ne suffit
pas : il faut relever une faute contre l'auteur du dommage (les anglo -saxons
parlent dans un cas de "negligence liability" et dans l'autre de
"strict liability").
La législation moderne
tend vers plus de responsabilité objective, ce qui est tout à fait regrettable.
En effet, la
responsabilité objective est assez illogique. Tout fait antérieur a des liens
de causalité avec un fait postérieur.
Quand un dommage est
commis, on peut remonter au déluge. Si un accident arrive avec un feu
d'artifice, pourquoi alors ne pas condamner le Chinois qui l'a inventé il y a
plus d'un millier d'années ?
La référence à la faute,
au contraire, permet de s'arrêter à un maillon de la chaîne historique de
causalité. Si on ne retient pas la faute, un certain nombre de conséquences
s'en suivent :
- tout le monde pourra
être tenu pour responsable,
- le coupable ne sera
pas plus responsable que les autres.
Donc "une
responsabilité civile dénuée de tout élément moral s'enfonce dans des problèmes
insolubles". Comme, en fin de compte, il faudra bien trancher, on
recourra à nouveau à une solution par décret. On est ramené à une
distribution étatique et arbitraire des risques.
Il faut donc moraliser
la responsabilité pour être responsable, il faut avoir commis une faute.
Faute et propriété
Si on
veut maintenant faire le lien entre faute et propriété, on se demandera si on
peut imaginer une faute sans violation de la propriété, et si la violation de
la propriété, à l'inverse, constitue une faute en soi. Dans le domaine de
l'environnement, la première question est importante. Beaucoup de gens veulent
être indemnisés alors même qu'ils ne sont pas propriétaires ; seuls leurs
"intérêts" ont été atteints, mais du moment qu'il y a eu faute ils
revendiquent. En réalité des "intérêts" dont on n'est pas
propriétaire peuvent être étendus à l'infini, et le fautif ne saurait être tenu
pour responsable à l'égard de n'importe qui.
Cela montre que c'est
l'atteinte à la propriété qui constitue, en soi, la faute. Beaucoup de
dommages environnementaux peuvent être qualifiés d'atteinte unilatérales aux
droits de propriété d'autrui.
C'est la solution du
droit romain : « l’immissio », violation de la propriété
(pénétration sur la propriété d'autrui) est en soi une faute Le seul fait
qu'il y ait eu atteinte à la propriété d'autrui constituait déjà une faute
et entraînait la responsabilité de l'auteur. Cette solution générale
s'accompagne, durant l'Ancien Régime, de nombreuses coutumes concernant les
questions de voisinage, de servitudes, et des solutions concrètes sont données
aux problèmes d'environnement. Une réglementation a fait également son
apparition et s'est développée à la veille de la Révolution. De la
sorte, le Code Civil, à travers l'article 1382, consacre par priorité le
principe de l'immissio et du même coup rend caduques les autres coutumes et
réglementations. Pothier, l'un des pères du Code, écrivait "le droit de
propriété, considéré par rapport à ses effets, doit se définir comme le droit
de disposer à son gré d'une chose, sans néanmoins donner atteinte au droit
d'autrui, ni aux lois". Cela impliquait que la coexistence seule des
différents droits de propriété limitait déjà la liberté du propriétaire, et
qu'il n'était point besoin de lois spéciales pour circonscrire la liberté
d'action du propriétaire. La logique du système de propriété impliquait déjà
ces limites.
L'environnement contre le progrès
A
cette époque, le sentiment d'un certain nombre d'industriels est que la règle
de la responsabilité civile est trop lourde. Si les propriétaires se mettent à
vouloir se protéger contre la dégradation de l'environnement, les industriels
passeront leur temps à les indemniser. Il faut choisir entre environnement et
progrès. Les pouvoirs publics sont vite persuadés qu'ils doivent trancher en
faveur du progrès. Ils admettent donc que les industriels sont déliés de toute
responsabilité lorsqu'ils sont autorisés par le pouvoir à mener une activité
d'un certain type, même quand cette activité est polluante et préjudiciable aux
autres. L'octroi du permis a remplacé la mise en jeu de la responsabilité...
Les économistes libéraux de l'époque ne s'y sont point trompés, qui ont attaqué
le décret de 1810 : "Rien de plus arbitraire et au fond, rien de plus
inutile que la législation sur les établissements incommodes et insalubres...
Elle ne protège ni les voisins contre les inconvénients de la fabrique, ni la
fabrique contre les réclamations judiciaires des voisins". La doctrine
s'enflamme et prend de plus en plus fait et cause pour la "fabrique"
contre le "voisin". "Le temps du travail, de l'industrie,
commence, l'idée et le respect de la propriété foncière doivent faire place à
l'idée et au respect de la production" écrit un philosophe du droit de
cette époque.
Alors la réglementation
va jouer contre la propriété, et contre l'environnement
Celui qui cause la
pollution a le droit de le faire pourvu que cela ne soit pas interdit par une
loi ou une réglementation spéciale.
La faute est désormais
autre chose que l'atteinte à la propriété : elle est simplement une infraction
à un règlement. Ce dernier pas impliquait alors que l'Etat pouvait contrôler la
responsabilité civile concernant les troubles de voisinage au moyen de sa
politique de permis.
Ainsi, on a paralysé la
responsabilité civile comme instrument efficace de protection de
l'environnement. Cette paralysie du droit a créé une lacune dans la protection
des droits de propriété contre les diverses formes de pollution qui se sont
multipliées avec les années. L'opinion publique voyait dans une
réglementation toujours croissante et des systèmes de permis toujours plus
compliqués les seuls remèdes pour contrôler le phénomène de la pollution. Une
fois que le mal est fait, il est difficile de rétablir dans l'opinion publique
la confiance dans les procédures de droit privé.
Alors que la
responsabilité civile était une arme suffisante pour régler les problèmes de
l'environnement, on l'a neutralisée par la réglementation, et pourtant la
plupart des gens, guidés par les juristes et les historiens, sont persuadés que
le droit de propriété donnait carte blanche aux pollueurs et qu'il convenait
d'en réglementer l'usage. Ce qui s'est passé, c'est exactement le contraire.
Dès lors, on peut soutenir que la vraie solution
aux problèmes de l'environnement consiste à revenir à la responsabilité civile.
Mettons un espoir dans l'Europe : peut être l'intégration européenne nous
offrent -elle une bonne chance d'un retour vers les instruments classiques du
droit privé, appliqués alors en toute conséquence.
Les passages en italique
sont repris du texte de l'article paru dans le Journal.
On l'a vu en France à
propos d'une affaire récente : si un ministre se dit "responsable mais pas
coupable", cela signifie qu'on reconnaît le lien de causalité mais pas la
faute ; dans ce cas est tenu de réparer celui que l'arbitraire politique veut
bien désigner : après tout pourquoi pas le contribuable électeur qui a eu la
stupidité de porter au pouvoir des dirigeants négligents ?
الخميس سبتمبر 08, 2016 10:34 am من طرف د.خالد محمود
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الجمعة أبريل 08, 2016 8:25 am من طرف د.خالد محمود
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الجمعة أبريل 08, 2016 8:15 am من طرف د.خالد محمود
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الأحد مارس 06, 2016 4:02 pm من طرف د.خالد محمود
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:04 am من طرف معهد تيب توب للتدريب
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:03 am من طرف معهد تيب توب للتدريب