LA RESPONSABILITÉ CIVILE
DÉCOULANT
DES INFECTIONS NOSOCOMIALES
Me Luc de la Sablonnière et Me Marie-Nancy Paquet*
INTRODUCTION.. 2
I. LA NOTION DE FAUTE EN MATIÈRE D’INFECTIONS
NOSOCOMIALES. 8
A. les obligations potentiellement constitutives de fautes. 10
1. Les normes légales. 10
a) Obligation générale de sécurité. 11
b) Règles de salubrité et de sécurité
spécifiques à la prévention des infections nosocomiales. 16
c) Obligation d’information du médecin. 18
2. Les normes « administratives »
et les règles de l’art 21
a) Les normes dites
« administratives ». 21
b) Le respect des règles de l’art 22
B. le véritable défi : la preuve de la faute. 26
1. La difficile preuve de la faute. 26
2. L’intensité de l’obligation : obligation de moyens ou de résultat?. 32
II. LA PREUVE D’UN LIEN DE CAUSALITÉ.. 36
A. l’hébergement de l’usager et la période d’incubation.. 39
B. la prescription d’antibiotiques et l’état physiologique préexistant. 41
C. l’application des présomptions. 42
III. L’INDEMNISATION DES VICTIMES : COMMENT
LA DÉTERMINER?. 46
A. le principe de la réparation intégrale. 46
B. la théorie des prédispositions. 48
IV. L’EXEMPLE DE LA SOLUTION FRANÇAISE.. 51
A. historique. 51
B. présentation de la jurisprudence administrative et judiciaire
préalable à l’intervention du législateur. 55
1. Jurisprudence administrative (établissements publics) 55
2. Jurisprudence judiciaire (établissements privés) 56
C. la loi du 4 mars 2002. 57
CONCLUSION.. 62
INTRODUCTION
Les infections nosocomiales défraient de plus en plus les
manchettes, inquiétant les usagers, conscientisant les professionnels et les
établissements. Peu de poursuites ont été intentées pour que soit obtenue
réparation des dommages causés par de telles infections et encore moins de
jugements ont été rendus en cette matière. Fardeau de preuve trop élevé? Preuve
d’un lien de causalité impossible à établir? Absence de responsabilité? Les
récentes préoccupations législatives en matière de prestation sécuritaire de
services par les établissements constituent-elles une nouvelle balise dont il
faut tenir compte?
Étymologiquement, le terme « nosocomial » provient du
latin nosocomium, signifiant hôpital, ainsi que du grec nosos
(maladie) et komein (soigner)[1]. Est désignée sous ce vocable toute
infection provoquée par des micro-organismes qui a été contractée dans un
établissement de soins par tout usager après son admission[2].
Une infection est considérée comme nosocomiale lorsqu’elle était absente au
moment de l’admission de l’usager[3].
En France, une infection est, en général, considérée comme étant
nosocomiale lorsqu’elle apparaît après un délai
de quarante-huit heures d’hospitalisation et que l’état d’infection
ou non de l’usager à l’admission est inconnu. Ce délai est, cependant, assez
artificiel et ne doit pas être appliqué indistinctement[4].
Ces infections peuvent être directement liées aux soins (par
exemple, une bactérie présente sur un cathéter) ou simplement survenir lors de
l’hospitalisation, indépendamment de tout acte médical (par exemple, une
épidémie de grippe)[5]. De même, les infections
nosocomiales sont dites « endogènes » lorsqu’elles découlent de la
propre flore de l’usager (par exemple la bactérie E. Coli présente dans
la flore intestinale d’un usager qui migre le long du cathéter urinaire) et
« exogènes » lorsqu’elles sont tributaires d’une autre source.
Considérant cette définition très large de la notion d’infection
nosocomiale, certains auteurs incluent des maladies transmises par le sang,
telles le VIH ou l’hépatite C, lorsque celles-ci sont transmises à l’occasion
des soins (par exemple, par transfusion sanguine). Toutefois, nous exclurons
toute infection de ce type afin de nous limiter à la notion d’infection
nosocomiale dans son acceptation la plus usuelle.
La question des infections nosocomiales constitue un des enjeux
majeurs du système de santé québécois et si, d’un point de vue juridique, la
réflexion est encore embryonnaire, le questionnement clinique est, lui,
beaucoup plus étoffé. Depuis la fin des années 1990, on note d’ailleurs un
accroissement des publications cliniques. Le législateur est également intervenu
dès les années 1970 pour imposer aux établissements de santé des normes
d’hygiène, sans toutefois qu’il n’y ait de répercussions jurisprudentielles[6].
En ce qui concerne l’analyse « macroscopique », bien que
toutes les études sur le sujet ne rapportent pas les mêmes statistiques, le
nombre de décès causés par des infections nosocomiales peut être évalué à
environ 2 000 à 3 000 par année[7], causant ainsi plus de décès que les
accidents de la route au Québec à chaque année.
Les infections nosocomiales entraînent également une augmentation
des dépenses pour le système de santé québécois. Selon l’Association des
médecins microbiologistes et infectiologues du Québec, chaque infection à Staphylococcus
aureus résistant à la méthicilline (SARM) engendre des coûts de
14 000 $ pour le système de santé québécois. Selon une évaluation de
2005, il apparaît raisonnable d’inférer que les infections nosocomiales coûtent
autour de 180 millions de dollars par année au système de santé québécois[8].
Dans un tel contexte, la responsabilité civile découlant des
infections nosocomiales est un sujet d’intérêt tant dans son acception
théorique que pratique. Malgré la prise de conscience, au cours des dernières
années de l’importance de ce problème, particulièrement par le milieu
sanitaire, peu d’écrits juridiques ou de textes de référence peuvent être
répertoriés[9].
Les décisions rapportées portant sur des infections contractées à la
suite de soins ne constituent pas non plus une source abondante tant par la
faiblesse de leur nombre que par la portée limitée de leur propos[10].
L’objectif du présent texte est donc de contribuer à la réflexion nécessaire
relative aux conséquences des infections nosocomiales par une détermination des
balises identifiables de la responsabilité civile.
La présente analyse se limite à la responsabilité civile des
établissements de santé et, pour certains aspects, des professionnels de la
santé, mais à l’exclusion des autres ordres juridictionnels ou administratifs.
Ainsi, ne seront pas abordés la question de la responsabilité pénale ou
criminelle, les recours spécifiques au droit du travail[11]
de même que les recours déontologiques ou disciplinaires découlant des
infections nosocomiales.
Enfin, nous limiterons nos propos au contexte québécois, sans aborder
la situation des provinces canadiennes de Common Law. Toutefois, une
présentation de la situation prévalant en France alimentera la réflexion sur
les pistes de solution. Le droit français, sur ce sujet, est en constante
évolution depuis plus de 20 ans et il existe désormais une certaine étatisation
de l’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales.
Rappelons brièvement l’évolution historique en matière de
responsabilité civile médicale et hospitalière. Durant plusieurs années, peu de
poursuites ont été intentées par des usagers contre des médecins, des hôpitaux
ou d’autres professionnels de la santé. Trois caractéristiques particulières
permettent de dresser ce constat. Tout d’abord, le standard de faute alors
requis par les tribunaux, pour engager la responsabilité civile des
professionnels, était très élevé et, par le fait même, le fardeau de preuve
était difficile à rencontrer pour le demandeur[12].
D’autre part, dans la majorité des cas, le recours échouait parce que le lien
de causalité n’était pas établi à la satisfaction du juge. Enfin, les dommages
accordés restaient relativement modestes[13].
En raison de changements sociaux, le contexte a évolué depuis le
début des années 1970 (modification de la relation patient-médecin, moins
grande tolérance sociétale, dont les accidents médicaux, etc.). Les tribunaux
appliquent désormais le standard général de faute requis à toute action en
responsabilité civile; ils sont moins exigeants sur le niveau de preuve et font
de plus en plus appel aux présomptions de fait. Ces assouplissements
jurisprudentiels ont grandement amélioré la position des usagers dans leurs
poursuites en responsabilité civile contre les professionnels de la santé et
les établissements[14].
Afin d’envisager les spécificités de la responsabilité civile
consécutive aux infections nosocomiales, nous aborderons successivement les
éléments constitutifs de cette responsabilité, soit la faute (I), le lien de
causalité (II) et la détermination du préjudice (III).
Enfin, nous procéderons à une analyse comparative de la législation
française en matière d’infections nosocomiales (IV).
* Avocats du cabinet Pothier, Delisle. Les auteurs tiennent à remercier Me Stéphanie Lelièvre et Me Julie
Gagnon pour leur précieuse collaboration.
[1] Département de microbiologie et
immunologie de l’Université de Montréal, Infections nosocomiales : les
connaître, les vaincre, en triompher, Montréal, Les Sélections de
médecine/sciences, no 14, février 2001, p. 20 et 21, en ligne :
http://selections.medecine-sciences.com/archives/Volume0/sms14/Art06.pdf#search='d%C3%A9finition%20nosocomiale (15 juillet 2005).
[2] Ibid.,
voir également Comité d’examen sur la prévention et le contrôle des
infections nosocomiales, D’abord ne pas nuire… Les infections nosocomiales
au Québec, un problème majeur de santé, une priorité, Québec, Direction des
communications du ministère de la
Santé et des Services sociaux, 2005, p. 18.
[3] Ministre délégué à la Santé, Direction de
l’Hospitalisation et de l’Organisation des soins – Direction Générale de la Santé, Lutte contre les
infections nosocomiales, Paris, mai 2001, en ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/34_010528.htm
(15 juillet 2005).
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Le Règlement
en vertu de la Loi sur les services de
santé et les services sociaux (1972) 104 G.O. II 10566, entré en
vigueur le 1er janvier 1973, comportait une section sur la sécurité,
dont l’article 3.8.2 prévoyait : « Tout établissement qui doit
prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir et enrayer la contagion et
l’infection […] »; des dispositions similaires se retrouvent au Règlement
sur l’organisation et l’administration des établissements (R.R.Q. 1981, c.
S-5, r. 3.01), toujours applicable en vertu de la nouvelle Loi sur les
services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-4.2, ci-après
« LSSSS »).
[7] Association des
microbiologistes infectiologues du Québec , Augmentation de la mortalité et
de la morbidité dans les hôpitaux du Québec – infections à SARM,
Québec, juin 2003, en ligne : http://mesnouvelles.branchez-vous.com/communiques/cnw/HEA/2003/06/c9709.html
(15 juillet 2005); plusieurs rapports ont présenté des statistiques plus
spécifiques sur le sujet, voir, à titre d’exemples : Ministère de la Santé et des Services
sociaux - Direction Générale de la
Santé publique, Mesures de contrôle et prévention des
infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthiciline (SARM) au
Québec : lignes directrices pour différents établissements et types de
soins, vol.1, Québec, 2000; Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Mémoire
sur le Projet de loi no 36 modifiant la Loi sur la Santé publique,
Montréal, 2001; Institut national de santé publique du Québec - Comité sur les
infections nosocomiales du Québec - Direction des risques biologiques,
environnementaux et occupationnels, Prévention et contrôle de la diarrhée
nosocomiale associée au Clostridium Difficile au Québec : lignes
directrices intérimaires pour les centres hospitaliers, 2e éd,
Québec, 2004; Institut national de santé publique du Québec - Direction risques
biologiques, environnementaux et occupationnels et Laboratoire de santé
publique, Surveillance des diarrhées associées à Clostridium difficile au
Québec : résultats préliminaires du 22 août au 13 novembre 2004, Québec, 2005.
[8] Comité d’examen sur
la présentation et le contrôle des infections nosocomiales, D’abord, ne pas
nuire… Les infections nosocomiales au Québec, un problème majeur de santé, supra
note 2, p. 25, ce rapport pose un regard critique et novateur sur la situation
au Québec et vulgarise efficacement l’ensemble des aspects cliniques de la
question.
[9] Notons cependant un
ajout récent majeur à la doctrine relative aux infections nosocomiales :
L. Khoury, « L’indemnisation des victimes d’une infection nosocomiale au
Québec : Les leçons du droit français » (2004) C. de D. 619.
[10] Voir, entre
autres : Weissman c. Bouzaglo, [2004] R.R.A. 1010 (res.)
(C.S.), 500-05-011268-958, (2004-05-25) appel rejeté sur requête (C.A.
500-09-01467-043, 2004-08-17); Girouard c. Hôpital Royal-Victora,
[1987] R.R.A. 858 (C.S.); Dineen c. Queen Elizabeth Hospital,
[1988] R.R.A. 658 (C.A.); Gingras c. Lessard, 200-32-033279-034,
30-9-2004 (C.Q.); Pelletier c. Centre hopitalier de Val-d’Or,
615-32-001988-011, 17-9-2002 (C.Q.).
[11] Conscients également
de l’inquiétude que peuvent constituer les infections nosocomiales pour les
intervenants quant à leur propre santé, nous référons, à cet égard, à l’article
de G. Mullins et P. Pelletier, « La sécurité du personnel
infirmier : quand le niveau de risque professionnel trace l’ampleur du
devoir de sécurité institutionnel », dans Le devoir de sécurité
et la responsabilité des établissements de santé, Service de la formation
permanente du Barreau du Québec, vol. 179, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2002, p. 83.
[12] À titre d’exemples : Caron c.
Gagnon, (1930) 68 C.S.
155; Fafard c. Gervais, [1948] C.S. 128.
[13] J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La
responsabilité civile, 6 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p.
993.
[14] Ibid., p. 994.
DÉCOULANT
DES INFECTIONS NOSOCOMIALES
Me Luc de la Sablonnière et Me Marie-Nancy Paquet*
INTRODUCTION.. 2
I. LA NOTION DE FAUTE EN MATIÈRE D’INFECTIONS
NOSOCOMIALES. 8
A. les obligations potentiellement constitutives de fautes. 10
1. Les normes légales. 10
a) Obligation générale de sécurité. 11
b) Règles de salubrité et de sécurité
spécifiques à la prévention des infections nosocomiales. 16
c) Obligation d’information du médecin. 18
2. Les normes « administratives »
et les règles de l’art 21
a) Les normes dites
« administratives ». 21
b) Le respect des règles de l’art 22
B. le véritable défi : la preuve de la faute. 26
1. La difficile preuve de la faute. 26
2. L’intensité de l’obligation : obligation de moyens ou de résultat?. 32
II. LA PREUVE D’UN LIEN DE CAUSALITÉ.. 36
A. l’hébergement de l’usager et la période d’incubation.. 39
B. la prescription d’antibiotiques et l’état physiologique préexistant. 41
C. l’application des présomptions. 42
III. L’INDEMNISATION DES VICTIMES : COMMENT
LA DÉTERMINER?. 46
A. le principe de la réparation intégrale. 46
B. la théorie des prédispositions. 48
IV. L’EXEMPLE DE LA SOLUTION FRANÇAISE.. 51
A. historique. 51
B. présentation de la jurisprudence administrative et judiciaire
préalable à l’intervention du législateur. 55
1. Jurisprudence administrative (établissements publics) 55
2. Jurisprudence judiciaire (établissements privés) 56
C. la loi du 4 mars 2002. 57
CONCLUSION.. 62
INTRODUCTION
Les infections nosocomiales défraient de plus en plus les
manchettes, inquiétant les usagers, conscientisant les professionnels et les
établissements. Peu de poursuites ont été intentées pour que soit obtenue
réparation des dommages causés par de telles infections et encore moins de
jugements ont été rendus en cette matière. Fardeau de preuve trop élevé? Preuve
d’un lien de causalité impossible à établir? Absence de responsabilité? Les
récentes préoccupations législatives en matière de prestation sécuritaire de
services par les établissements constituent-elles une nouvelle balise dont il
faut tenir compte?
Étymologiquement, le terme « nosocomial » provient du
latin nosocomium, signifiant hôpital, ainsi que du grec nosos
(maladie) et komein (soigner)[1]. Est désignée sous ce vocable toute
infection provoquée par des micro-organismes qui a été contractée dans un
établissement de soins par tout usager après son admission[2].
Une infection est considérée comme nosocomiale lorsqu’elle était absente au
moment de l’admission de l’usager[3].
En France, une infection est, en général, considérée comme étant
nosocomiale lorsqu’elle apparaît après un délai
de quarante-huit heures d’hospitalisation et que l’état d’infection
ou non de l’usager à l’admission est inconnu. Ce délai est, cependant, assez
artificiel et ne doit pas être appliqué indistinctement[4].
Ces infections peuvent être directement liées aux soins (par
exemple, une bactérie présente sur un cathéter) ou simplement survenir lors de
l’hospitalisation, indépendamment de tout acte médical (par exemple, une
épidémie de grippe)[5]. De même, les infections
nosocomiales sont dites « endogènes » lorsqu’elles découlent de la
propre flore de l’usager (par exemple la bactérie E. Coli présente dans
la flore intestinale d’un usager qui migre le long du cathéter urinaire) et
« exogènes » lorsqu’elles sont tributaires d’une autre source.
Considérant cette définition très large de la notion d’infection
nosocomiale, certains auteurs incluent des maladies transmises par le sang,
telles le VIH ou l’hépatite C, lorsque celles-ci sont transmises à l’occasion
des soins (par exemple, par transfusion sanguine). Toutefois, nous exclurons
toute infection de ce type afin de nous limiter à la notion d’infection
nosocomiale dans son acceptation la plus usuelle.
La question des infections nosocomiales constitue un des enjeux
majeurs du système de santé québécois et si, d’un point de vue juridique, la
réflexion est encore embryonnaire, le questionnement clinique est, lui,
beaucoup plus étoffé. Depuis la fin des années 1990, on note d’ailleurs un
accroissement des publications cliniques. Le législateur est également intervenu
dès les années 1970 pour imposer aux établissements de santé des normes
d’hygiène, sans toutefois qu’il n’y ait de répercussions jurisprudentielles[6].
En ce qui concerne l’analyse « macroscopique », bien que
toutes les études sur le sujet ne rapportent pas les mêmes statistiques, le
nombre de décès causés par des infections nosocomiales peut être évalué à
environ 2 000 à 3 000 par année[7], causant ainsi plus de décès que les
accidents de la route au Québec à chaque année.
Les infections nosocomiales entraînent également une augmentation
des dépenses pour le système de santé québécois. Selon l’Association des
médecins microbiologistes et infectiologues du Québec, chaque infection à Staphylococcus
aureus résistant à la méthicilline (SARM) engendre des coûts de
14 000 $ pour le système de santé québécois. Selon une évaluation de
2005, il apparaît raisonnable d’inférer que les infections nosocomiales coûtent
autour de 180 millions de dollars par année au système de santé québécois[8].
Dans un tel contexte, la responsabilité civile découlant des
infections nosocomiales est un sujet d’intérêt tant dans son acception
théorique que pratique. Malgré la prise de conscience, au cours des dernières
années de l’importance de ce problème, particulièrement par le milieu
sanitaire, peu d’écrits juridiques ou de textes de référence peuvent être
répertoriés[9].
Les décisions rapportées portant sur des infections contractées à la
suite de soins ne constituent pas non plus une source abondante tant par la
faiblesse de leur nombre que par la portée limitée de leur propos[10].
L’objectif du présent texte est donc de contribuer à la réflexion nécessaire
relative aux conséquences des infections nosocomiales par une détermination des
balises identifiables de la responsabilité civile.
La présente analyse se limite à la responsabilité civile des
établissements de santé et, pour certains aspects, des professionnels de la
santé, mais à l’exclusion des autres ordres juridictionnels ou administratifs.
Ainsi, ne seront pas abordés la question de la responsabilité pénale ou
criminelle, les recours spécifiques au droit du travail[11]
de même que les recours déontologiques ou disciplinaires découlant des
infections nosocomiales.
Enfin, nous limiterons nos propos au contexte québécois, sans aborder
la situation des provinces canadiennes de Common Law. Toutefois, une
présentation de la situation prévalant en France alimentera la réflexion sur
les pistes de solution. Le droit français, sur ce sujet, est en constante
évolution depuis plus de 20 ans et il existe désormais une certaine étatisation
de l’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales.
Rappelons brièvement l’évolution historique en matière de
responsabilité civile médicale et hospitalière. Durant plusieurs années, peu de
poursuites ont été intentées par des usagers contre des médecins, des hôpitaux
ou d’autres professionnels de la santé. Trois caractéristiques particulières
permettent de dresser ce constat. Tout d’abord, le standard de faute alors
requis par les tribunaux, pour engager la responsabilité civile des
professionnels, était très élevé et, par le fait même, le fardeau de preuve
était difficile à rencontrer pour le demandeur[12].
D’autre part, dans la majorité des cas, le recours échouait parce que le lien
de causalité n’était pas établi à la satisfaction du juge. Enfin, les dommages
accordés restaient relativement modestes[13].
En raison de changements sociaux, le contexte a évolué depuis le
début des années 1970 (modification de la relation patient-médecin, moins
grande tolérance sociétale, dont les accidents médicaux, etc.). Les tribunaux
appliquent désormais le standard général de faute requis à toute action en
responsabilité civile; ils sont moins exigeants sur le niveau de preuve et font
de plus en plus appel aux présomptions de fait. Ces assouplissements
jurisprudentiels ont grandement amélioré la position des usagers dans leurs
poursuites en responsabilité civile contre les professionnels de la santé et
les établissements[14].
Afin d’envisager les spécificités de la responsabilité civile
consécutive aux infections nosocomiales, nous aborderons successivement les
éléments constitutifs de cette responsabilité, soit la faute (I), le lien de
causalité (II) et la détermination du préjudice (III).
Enfin, nous procéderons à une analyse comparative de la législation
française en matière d’infections nosocomiales (IV).
* Avocats du cabinet Pothier, Delisle. Les auteurs tiennent à remercier Me Stéphanie Lelièvre et Me Julie
Gagnon pour leur précieuse collaboration.
[1] Département de microbiologie et
immunologie de l’Université de Montréal, Infections nosocomiales : les
connaître, les vaincre, en triompher, Montréal, Les Sélections de
médecine/sciences, no 14, février 2001, p. 20 et 21, en ligne :
http://selections.medecine-sciences.com/archives/Volume0/sms14/Art06.pdf#search='d%C3%A9finition%20nosocomiale (15 juillet 2005).
[2] Ibid.,
voir également Comité d’examen sur la prévention et le contrôle des
infections nosocomiales, D’abord ne pas nuire… Les infections nosocomiales
au Québec, un problème majeur de santé, une priorité, Québec, Direction des
communications du ministère de la
Santé et des Services sociaux, 2005, p. 18.
[3] Ministre délégué à la Santé, Direction de
l’Hospitalisation et de l’Organisation des soins – Direction Générale de la Santé, Lutte contre les
infections nosocomiales, Paris, mai 2001, en ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/34_010528.htm
(15 juillet 2005).
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Le Règlement
en vertu de la Loi sur les services de
santé et les services sociaux (1972) 104 G.O. II 10566, entré en
vigueur le 1er janvier 1973, comportait une section sur la sécurité,
dont l’article 3.8.2 prévoyait : « Tout établissement qui doit
prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir et enrayer la contagion et
l’infection […] »; des dispositions similaires se retrouvent au Règlement
sur l’organisation et l’administration des établissements (R.R.Q. 1981, c.
S-5, r. 3.01), toujours applicable en vertu de la nouvelle Loi sur les
services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-4.2, ci-après
« LSSSS »).
[7] Association des
microbiologistes infectiologues du Québec , Augmentation de la mortalité et
de la morbidité dans les hôpitaux du Québec – infections à SARM,
Québec, juin 2003, en ligne : http://mesnouvelles.branchez-vous.com/communiques/cnw/HEA/2003/06/c9709.html
(15 juillet 2005); plusieurs rapports ont présenté des statistiques plus
spécifiques sur le sujet, voir, à titre d’exemples : Ministère de la Santé et des Services
sociaux - Direction Générale de la
Santé publique, Mesures de contrôle et prévention des
infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthiciline (SARM) au
Québec : lignes directrices pour différents établissements et types de
soins, vol.1, Québec, 2000; Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Mémoire
sur le Projet de loi no 36 modifiant la Loi sur la Santé publique,
Montréal, 2001; Institut national de santé publique du Québec - Comité sur les
infections nosocomiales du Québec - Direction des risques biologiques,
environnementaux et occupationnels, Prévention et contrôle de la diarrhée
nosocomiale associée au Clostridium Difficile au Québec : lignes
directrices intérimaires pour les centres hospitaliers, 2e éd,
Québec, 2004; Institut national de santé publique du Québec - Direction risques
biologiques, environnementaux et occupationnels et Laboratoire de santé
publique, Surveillance des diarrhées associées à Clostridium difficile au
Québec : résultats préliminaires du 22 août au 13 novembre 2004, Québec, 2005.
[8] Comité d’examen sur
la présentation et le contrôle des infections nosocomiales, D’abord, ne pas
nuire… Les infections nosocomiales au Québec, un problème majeur de santé, supra
note 2, p. 25, ce rapport pose un regard critique et novateur sur la situation
au Québec et vulgarise efficacement l’ensemble des aspects cliniques de la
question.
[9] Notons cependant un
ajout récent majeur à la doctrine relative aux infections nosocomiales :
L. Khoury, « L’indemnisation des victimes d’une infection nosocomiale au
Québec : Les leçons du droit français » (2004) C. de D. 619.
[10] Voir, entre
autres : Weissman c. Bouzaglo, [2004] R.R.A. 1010 (res.)
(C.S.), 500-05-011268-958, (2004-05-25) appel rejeté sur requête (C.A.
500-09-01467-043, 2004-08-17); Girouard c. Hôpital Royal-Victora,
[1987] R.R.A. 858 (C.S.); Dineen c. Queen Elizabeth Hospital,
[1988] R.R.A. 658 (C.A.); Gingras c. Lessard, 200-32-033279-034,
30-9-2004 (C.Q.); Pelletier c. Centre hopitalier de Val-d’Or,
615-32-001988-011, 17-9-2002 (C.Q.).
[11] Conscients également
de l’inquiétude que peuvent constituer les infections nosocomiales pour les
intervenants quant à leur propre santé, nous référons, à cet égard, à l’article
de G. Mullins et P. Pelletier, « La sécurité du personnel
infirmier : quand le niveau de risque professionnel trace l’ampleur du
devoir de sécurité institutionnel », dans Le devoir de sécurité
et la responsabilité des établissements de santé, Service de la formation
permanente du Barreau du Québec, vol. 179, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2002, p. 83.
[12] À titre d’exemples : Caron c.
Gagnon, (1930) 68 C.S.
155; Fafard c. Gervais, [1948] C.S. 128.
[13] J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La
responsabilité civile, 6 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p.
993.
[14] Ibid., p. 994.
الخميس سبتمبر 08, 2016 10:34 am من طرف د.خالد محمود
» "خواطر "يا حبيبتي
الجمعة أبريل 08, 2016 8:25 am من طرف د.خالد محمود
» خواطر "يا حياتي "
الجمعة أبريل 08, 2016 8:15 am من طرف د.خالد محمود
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:04 am من طرف معهد تيب توب للتدريب
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:03 am من طرف معهد تيب توب للتدريب