Responsabilité
civile : des évolutions nécessaires
II. LES CONDITIONS
DE LA
RESPONSABILITÉ CIVILE
Rénover les conditions
de la responsabilité civile suppose classiquement de revoir les champs
respectifs des trois éléments nécessaires à sa mise en jeu : le préjudice
réparable, le lien de causalité et le fait générateur.
A. CANTONNER LE PRÉJUDICE RÉPARABLE
L'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription préconise une
double extension du champ des préjudices réparables dont l'opportunité
n'apparaît pas clairement aux yeux du groupe de travail de votre commission des
lois : la réparation du préjudice collectif et celle du préjudice
dépendant d'un événement futur et incertain.
1. Éviter l'introduction dans le code civil de la notion de
préjudice collectif
Le refus de
l'introduction de la notion de préjudice collectif dans le droit commun de la
responsabilité civile repose à la fois sur l'imprécision de cette notion, dont
il est difficile de mesurer la portée, et sur le constat que l'objectif
recherché par ses promoteurs est déjà atteint.
a) Une portée incertaine
L'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription donne du
préjudice réparable la définition suivante : « Est réparable
tout préjudice certain consistant dans la lésion d'un intérêt licite,
patrimonial ou extrapatrimonial, individuel ou collectif. »
Pour ses rédacteurs, qui
n'ont délibérément pas précisé les personnes susceptibles d'agir en réparation
(individus lésés, associations qui les regroupent...) au motif qu'il s'agissait
d'une question de procédure : « l'allusion à la lésion d'un
intérêt collectif paraît utile, notamment pour permettre la réparation du
préjudice écologique ».
L'Institut national
d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) et le groupe de travail de la Cour de cassation présidé par
M. Pierre Sargos ont souscrit à cette proposition.
Si louable soit
l'objectif poursuivi, la rédaction proposée s'avère néanmoins source d'interrogations
multiples.
Comme l'a fait remarquer
l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, l'article L. 421-1 du code
de la consommation reconnaît déjà l'existence d'un « préjudice direct
ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs » et permet aux
associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la
défense des intérêts des consommateurs, si elles ont été agréées à cette fin,
d'exercer les droits reconnus à la partie civile.
Le Mouvement des
entreprises de France (MEDEF), la
Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et le
Groupement des assurances mutuelles (GEMA) ont a pour leur part jugé inopportune
l'introduction d'une telle notion en droit de la responsabilité civile, en
soulignant qu'elle renchérirait le coût de l'assurance et favoriserait les
actions de groupe. Or, comme vos rapporteurs l'exposeront ci-après,
l'introduction d'actions collectives, si elle mérite d'être envisagée, devrait
également être circonscrite.
b) Un objectif déjà satisfait
Sans doute les
juridictions civiles ont-elles déjà prononcé des condamnations pour atteinte
à l'environnement.
À titre d'exemples, la
cour d'appel de Bordeaux a indemnisé, en 2006, plusieurs associations au titre
du « préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique
», tandis que le tribunal de grande instance de Narbonne, en octobre 2007, a indemnisé les
préjudices causés à un parc naturel régional du fait de l'écoulement de
produits chimiques dans les eaux maritimes en distinguant les préjudices
« matériel », « moral » et « environnemental
subi par le patrimoine naturel » du parc naturel.
Jusqu'à l'affaire de
l'Erika, les montants accordés étaient relativement faibles, allant de l'euro
symbolique pour la mort d'un rapace ou d'un loup, à 150 euros pour la capture
d'un oiseau appartenant à une espèce protégée. Comme l'a relevé notre collègue
Jean Bizet dans son rapport sur le projet de loi relatif la responsabilité
environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire
dans le domaine de l'environnement23(*) :
« Le jugement
rendu le 16 janvier 200824(*) à propos
de l'Erika n'est pas à proprement parler une première mais ce qui est
remarquable, c'est le montant de l'indemnisation des dommages causés à
l'environnement. Les prévenus ont en effet été condamnés solidairement à
verser à 70 victimes 192 millions d'euros, qui s'ajoutent aux 184 millions
distribués par le FIPOL, et aux 200 millions pris en charge par la compagnie
Total pour restaurer les pompes et pomper les cuves de l'épave. Pour la
première fois, la Ligue
de protection des oiseaux s'est vue allouer une somme de 75 euros par oiseau
mort. Jusque-là, elle n'avait pu prétendre qu'à la prise en compte des
dépenses qu'elle avait engagées pour nettoyer et soigner les oiseaux. C'est la
première fois qu'un tribunal lui alloue une réparation pour les oiseaux morts
équivalente au coût nécessaire pour permettre la nidification et l'élevage
des oiseaux de remplacement. »
Pour autant,
M. Matthieu Poumarède, professeur à l'université de Toulouse, a fait
observer à juste titre lors de son audition par le groupe de travail de votre
commission des lois que le droit de la responsabilité civile,
responsabilité individuelle avant tout, ne semble pas approprié pour
assurer la réparation de préjudices écologiques, dont la victime n'est pas une
ou plusieurs personnes mais l'environnement.
De même, Mme Pascale
Fombeur, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la
justice ; a jugé préférable de mettre en place des systèmes de
socialisation des risques plutôt que de permettre à une personne, fût-elle
morale, de se prévaloir de la lésion d'un intérêt collectif.
Transposant la directive
2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale, la loi
n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité
environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire
dans le domaine de l'environnement a ainsi distingué25(*) :
- la réparation des
dommages les plus graves causés à l'environnement ou aux espèces et habitats,
qui fait l'objet d'un régime spécifique prévu par le code de l'environnement,
- de la réparation
du dommage environnemental causé à une personne, qui relève du droit commun de
la responsabilité civile.
Dès lors, la
consécration de la notion de préjudice collectif, proposée en septembre 2005
par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la
prescription, perd sa justification première.
* 23
Cf rapport n° 348 (2007-2008) de M. Jean Bizet, au nom de la commission des
affaires économiques du Sénat http://www.senat.fr/rap/l07-348/l07-348.html.
* 24
Onzième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, 16
janvier 2008.
* 25
Articles L. 162-1 et L. 162-2 du code de l'environnement.
civile : des évolutions nécessaires
II. LES CONDITIONS
DE LA
RESPONSABILITÉ CIVILE
Rénover les conditions
de la responsabilité civile suppose classiquement de revoir les champs
respectifs des trois éléments nécessaires à sa mise en jeu : le préjudice
réparable, le lien de causalité et le fait générateur.
A. CANTONNER LE PRÉJUDICE RÉPARABLE
L'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription préconise une
double extension du champ des préjudices réparables dont l'opportunité
n'apparaît pas clairement aux yeux du groupe de travail de votre commission des
lois : la réparation du préjudice collectif et celle du préjudice
dépendant d'un événement futur et incertain.
1. Éviter l'introduction dans le code civil de la notion de
préjudice collectif
Le refus de
l'introduction de la notion de préjudice collectif dans le droit commun de la
responsabilité civile repose à la fois sur l'imprécision de cette notion, dont
il est difficile de mesurer la portée, et sur le constat que l'objectif
recherché par ses promoteurs est déjà atteint.
a) Une portée incertaine
L'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription donne du
préjudice réparable la définition suivante : « Est réparable
tout préjudice certain consistant dans la lésion d'un intérêt licite,
patrimonial ou extrapatrimonial, individuel ou collectif. »
Pour ses rédacteurs, qui
n'ont délibérément pas précisé les personnes susceptibles d'agir en réparation
(individus lésés, associations qui les regroupent...) au motif qu'il s'agissait
d'une question de procédure : « l'allusion à la lésion d'un
intérêt collectif paraît utile, notamment pour permettre la réparation du
préjudice écologique ».
L'Institut national
d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) et le groupe de travail de la Cour de cassation présidé par
M. Pierre Sargos ont souscrit à cette proposition.
Si louable soit
l'objectif poursuivi, la rédaction proposée s'avère néanmoins source d'interrogations
multiples.
Comme l'a fait remarquer
l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, l'article L. 421-1 du code
de la consommation reconnaît déjà l'existence d'un « préjudice direct
ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs » et permet aux
associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la
défense des intérêts des consommateurs, si elles ont été agréées à cette fin,
d'exercer les droits reconnus à la partie civile.
Le Mouvement des
entreprises de France (MEDEF), la
Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et le
Groupement des assurances mutuelles (GEMA) ont a pour leur part jugé inopportune
l'introduction d'une telle notion en droit de la responsabilité civile, en
soulignant qu'elle renchérirait le coût de l'assurance et favoriserait les
actions de groupe. Or, comme vos rapporteurs l'exposeront ci-après,
l'introduction d'actions collectives, si elle mérite d'être envisagée, devrait
également être circonscrite.
b) Un objectif déjà satisfait
Sans doute les
juridictions civiles ont-elles déjà prononcé des condamnations pour atteinte
à l'environnement.
À titre d'exemples, la
cour d'appel de Bordeaux a indemnisé, en 2006, plusieurs associations au titre
du « préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique
», tandis que le tribunal de grande instance de Narbonne, en octobre 2007, a indemnisé les
préjudices causés à un parc naturel régional du fait de l'écoulement de
produits chimiques dans les eaux maritimes en distinguant les préjudices
« matériel », « moral » et « environnemental
subi par le patrimoine naturel » du parc naturel.
Jusqu'à l'affaire de
l'Erika, les montants accordés étaient relativement faibles, allant de l'euro
symbolique pour la mort d'un rapace ou d'un loup, à 150 euros pour la capture
d'un oiseau appartenant à une espèce protégée. Comme l'a relevé notre collègue
Jean Bizet dans son rapport sur le projet de loi relatif la responsabilité
environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire
dans le domaine de l'environnement23(*) :
« Le jugement
rendu le 16 janvier 200824(*) à propos
de l'Erika n'est pas à proprement parler une première mais ce qui est
remarquable, c'est le montant de l'indemnisation des dommages causés à
l'environnement. Les prévenus ont en effet été condamnés solidairement à
verser à 70 victimes 192 millions d'euros, qui s'ajoutent aux 184 millions
distribués par le FIPOL, et aux 200 millions pris en charge par la compagnie
Total pour restaurer les pompes et pomper les cuves de l'épave. Pour la
première fois, la Ligue
de protection des oiseaux s'est vue allouer une somme de 75 euros par oiseau
mort. Jusque-là, elle n'avait pu prétendre qu'à la prise en compte des
dépenses qu'elle avait engagées pour nettoyer et soigner les oiseaux. C'est la
première fois qu'un tribunal lui alloue une réparation pour les oiseaux morts
équivalente au coût nécessaire pour permettre la nidification et l'élevage
des oiseaux de remplacement. »
Pour autant,
M. Matthieu Poumarède, professeur à l'université de Toulouse, a fait
observer à juste titre lors de son audition par le groupe de travail de votre
commission des lois que le droit de la responsabilité civile,
responsabilité individuelle avant tout, ne semble pas approprié pour
assurer la réparation de préjudices écologiques, dont la victime n'est pas une
ou plusieurs personnes mais l'environnement.
De même, Mme Pascale
Fombeur, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la
justice ; a jugé préférable de mettre en place des systèmes de
socialisation des risques plutôt que de permettre à une personne, fût-elle
morale, de se prévaloir de la lésion d'un intérêt collectif.
Transposant la directive
2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale, la loi
n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité
environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire
dans le domaine de l'environnement a ainsi distingué25(*) :
- la réparation des
dommages les plus graves causés à l'environnement ou aux espèces et habitats,
qui fait l'objet d'un régime spécifique prévu par le code de l'environnement,
- de la réparation
du dommage environnemental causé à une personne, qui relève du droit commun de
la responsabilité civile.
Dès lors, la
consécration de la notion de préjudice collectif, proposée en septembre 2005
par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la
prescription, perd sa justification première.
Recommandation n° 9 - Écarter l'introduction dans le code civil de la notion de « préjudice collectif ». |
* 23
Cf rapport n° 348 (2007-2008) de M. Jean Bizet, au nom de la commission des
affaires économiques du Sénat http://www.senat.fr/rap/l07-348/l07-348.html.
* 24
Onzième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, 16
janvier 2008.
* 25
Articles L. 162-1 et L. 162-2 du code de l'environnement.
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الأحد مارس 06, 2016 4:02 pm من طرف د.خالد محمود
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:04 am من طرف معهد تيب توب للتدريب
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الأربعاء سبتمبر 16, 2015 1:03 am من طرف معهد تيب توب للتدريب